Marquées par l'exclusion de nombreux candidats réformateurs, les élections
législatives du 20 février ne sont pas pour autant un triomphe pour les conservateurs. En effet, les réformes ont fait leur chemin...
Le septième renouvellement du Majlis (Assemblée nationale) depuis la révolution de 1979 s’est focalisé autour de la participation et de l’abstention à ces élections législatives. De par l’invalidation des candidatures d’une majorité de candidats réformateurs, le scrutin était en effet gagné d’avance par les conservateurs. Mais, en boycottant les urnes, les réformateurs sont malgré tout parvenus à s’exprimer, même si, selon Sadeq Saba, analyste politique de la section persane de la BBC, très écoutée et dont le site Internet est très lu en Iran, “la participation d’un peu moins de 50 % d’électeurs à ce scrutin n’est pas pour les conservateurs la catastrophe que ceux qui ont appelé au boycott de cette élection attendaient".
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Toutefois, à y regarder de plus près, les chiffres plus précis se révèlent peu flatteurs pour les conservateurs, poursuit l’analyste de la BBC. “Outre les votes nuls et blancs, qui concerneraient jusqu’à 15 % des votes émis, il convient de regarder de plus près le résultat du vote dans une ville comme Ispahan, où la participation a à peine atteint 32 %, mais où, surtout, la tête de liste des conservateurs n’a finalement obtenu qu’environ 30 % des voix exprimées, soit 12 % du potentiel électoral de la ville. La même démonstration peut être faite pour Téhéran, où la tête de liste des conservateurs, qui ont remporté les trente sièges de la capitale, n’obtient finalement qu’environ 25 % des voix exprimées, soit 10 % à peine de l’ensemble du corps électoral de Téhéran.”
"La victoire des réformes"
Massoud Behnoud, célèbre journaliste et écrivain iranien qui a travaillé pour plusieurs quotidiens réformateurs mais qui s’exprime désormais depuis l’étranger à travers son site Internet, va dans le même sens, en fournissant des exemples très concrets et très parlants. “Le cas de la ville de Mashad [nord-est] est très intéressant. C’est la plus grande ville religieuse d’Iran. La fondation pieuse Astan é Qods [liée au mausolée de Réza, le huitième imam chiite] y est omniprésente et totalement au service des conservateurs. Alors qu’aucun candidat réformateur ne se présentait aux élections à Mashad, les résultats des conservateurs, qui disposaient pourtant de tous les moyens, sont assez médiocres, a fortiori si on les compare aux résultats des réformateurs qui l’avaient remporté haut la main lors du scrutin précédent dans un contexte alors de vraie rivalité électorale. […] Prenons maintenant le cas de Kermanshah [ouest], qui, par sa population un peu particulière [la ville est essentiellement peuplée de Kurdes, et non pas de Persans ; en outre, ces Kurdes sont des chiites, alors qu’habituellement les Kurdes sont plutôt sunnites], par sa proximité avec la frontière irakienne et son passé de ville très exposée pendant la guerre Iran-Irak, a toujours vécu les élections - même quand elles étaient jouées d’avance, à l’époque du chah - comme un enjeu très important. La participation y a été particulièrement faible, et le premier élu conservateur de la région a finalement obtenu très peu de voix.” Massoud Behnoud conclut alors : “Si les proches du régime obtiennent si peu de voix dans une ville comme Kermanshah, les véritables décideurs de la République islamique ont de quoi s’inquiéter.”
La victoire des conservateurs signifie-t-elle d’ailleurs la fin des réformes ? Aftab é Yazd, l’un des derniers quotidiens plutôt proche des réformateurs, n’y croit pas et publie même paradoxalement un éditorial intitulé “La victoire des réformes”. “On peut d’ores et déjà affirmer que le peuple a gagné, dans le sens où les réformes l’ont emporté. En effet, si l’on observe un tant soit peu les discours et les slogans de campagne [des conservateurs], on constate que beaucoup de choses ont changé, en d’autres termes que beaucoup de choses ont été ‘réformées’. Les conservateurs ont maintenant vraiment intégré le concept de peuple. Les réformateurs s’étaient contentés d’écouter la population et de répercuter sa parole, ce qui explique le succès qu’ils ont connu. Maintenant, tout le monde fait la même chose, c’est en ce sens que l’on peut dire que les réformes sont de toute façon gagnantes."
Tenir à l’œil les anciens députés réformateurs
Mohammad Ali Abtahi, religieux et proche conseiller du président Khatami, confirme cette tendance sur son weblog personnel : “Un des partis proches des conservateurs a placardé sur les murs de Téhéran des slogans célébrant un 'Iran libre, prospère et heureux'. Toutes les tendances connues pour être opposées aux réformes ont laissé tomber leurs anciennes appellations pour se présenter sous le qualificatif civil de 'coalition des bâtisseurs'. Elles ont placé le concept d’Iran au centre de leur propagande. Interrogés par une télévision arabe au titre de candidats conservateurs, certains de ceux-ci ont violemment rejeté cette étiquette pour se présenter comme les futurs acteurs du retour de la prospérité en Iran. D’autres candidats 'conservateurs' ont déclaré que l’usage d’antennes paraboliques devait désormais être libre et ont évoqué de manière à peine voilée la nécessité de réduire les tensions avec Washington."
Le site Baztab — proche de Mohsen Rezaï, l’ancien dirigeant des Pasdarans (gardiens de la révolution) aujourd’hui porte-parole du Conseil de discernement des intérêts du régime, qui, tout en étant proche des conservateurs, prétend maintenant incarner une “troisième voie” - écrit avec beaucoup de circonvolutions que la clarification apportée par ces élections, combinée au contexte régional [Irak, Afghanistan] amèneront sans doute les Etats-Unis à reconsidérer leurs relations avec l’Iran.
Quant à la tendance dure des conservateurs, incarnée par le quotidien Kayhan et son rédacteur en chef Hossein Shariatmadari, elle ne regrette rien. “Certains pensaient de bonne foi que le discrédit des réformateurs se solderait de toute façon par leur échec électoral et que, dès lors, l’invalidation de leurs candidatures par le Conseil des gardiens n’était pas nécessaire. Si ce constat d’échec était juste, on constate toutefois aujourd’hui, à l’aune de l’attitude et des agissements des députés réformateurs sortants, que la décision du Conseil des gardiens était non seulement parfaitement légale mais aussi tout à fait justifiée. Les hauts responsables du régime doivent dès lors tenir à l’œil ces députés réformateurs et empêcher qu’ils puissent être maintenant reversés et nommés dans l’administration ou la diplomatie."
Traduit par Pierre Vanrie